lundi 18 mars 2013

L'eclectisme en Architecture

C'est en 1817 que Victor Cousin donna son sens moderne au terme « éclectisme » (issu du grec eklegein, choisir), soit quelques décennies après la Révolution française. Pour l'historien de l'architecture Vincent Scully, l'éclectisme, que préfigure en 1782 le hameau de Marie-Antoinette, est l'art du réfugié, le syncrétisme apolitique qui s'oppose aux enthousiasmes romantiques de Boullée et de Ledoux (Marx ne disait-il pas que les époques de transformations rapides sont précisément celles où les hommes se raccrochent le plus
craintivement à leur passé ?). En ce sens, tout le XIX ième siècle architectural pourrait être dit éclectique, si l'on admet que les références à l'art du passé constituent son principal ressort : même le plus rationaliste des théoriciens d'alors, Viollet-le-Duc, se croit obligé de prendre le gothique pour exemple et de mouler ses concepts révolutionnaires d'ossature dans des schémas de cathédrale.

C'est en fait la réaction contre cette tentative multiforme de se réapproprier les styles historiques (que le modèle fût Byzance, la Grèce, le gothique, le roman ou la Renaissance) qui donna négativement une cohérence à cette diversité. Contemporain et ami de Loos, et partageant son jansénisme esthétique, Robert Musil parle ainsi du xixe siècle dans L'Homme sans qualités : « Le siècle qu'on venait d'enterrer n'avait pas spécialement brillé par sa seconde moitié. Il s'était montré adroit dans le domaine de la technique, du commerce et de la recherche, mais, en dehors de ces foyers d'énergie, calme et menteur comme une eau dormante. On avait peint comme les vieux maîtres, écrit comme Goethe et Schiller, bâti dans le style gothique ou Renaissance. L'exigence d'idéal pesait sur toutes les manifestations de la vie comme une préfecture de police. Mais en vertu de cette loi secrète aux termes de laquelle aucune imitation n'est permise à l'homme si elle ne s'accompagne d'un excès [souligné ici], tout se faisait alors avec une méthode dont les modèles tant admirés n'auraient jamais été capables, méthode dont on peut voir les traces aujourd'hui dans nos rues et dans nos musées. » Or, son opprobre, sans le vouloir, dit l'intérêt de l'éclectisme : que celui-ci dans ses meilleures réalisations s'accompagne d'un surplus d'imitation qui contredit (comme dans la peinture dite hyperréaliste) la volonté mimétique. On s'aperçoit alors que loin d'être la simple redondance béate que tout le mouvement moderne, de Sullivan à Le Corbusier, aura détesté en lui, il propose une théorie implicite de l'histoire et des transformations historiques. Piranèse aura été, d'une certaine manière, le premier éclectique, en introduisant dans le débat architectural la temporalité contradictoire, plurielle, contre la conception linéaire et normative du retour idéalisé à l'antique.

De même, par son refus de la mythologie simple du progrès sur laquelle s'est édifiée l'architecture héroïque du xxe siècle, l'architecte Robert Venturi, revenant à l'éclectisme du xviiie et du xixe siècle, peut préférer le « à la fois » au « ou » exclusif en architecture, se moquer du purisme d'un Mies van der Rohe (less is a bore) et déclarer, dans De l'ambiguïté en architecture (qualifié à juste titre par Vincent Scully de « texte le plus important de la théorie de l'architecture depuis Vers une architecture de Le Corbusier ») : « Ce que j'aime des choses c'est qu'elles soient hybrides plutôt que „pures“, issues de compromis plutôt que de mains propres, biscornues plutôt que „sans détours“, ambiguës plutôt que clairement articulées, aussi contrariantes qu'impersonnelles..., conventionnelles plutôt qu'„originales“, accommodantes plutôt qu'exclusives, redondantes plutôt que simples, aussi antiques que novatrices, contradictoires et équivoques plutôt que claires et nettes. À l'évidence de l'unité je préfère le désordre de la vie [...]. Une architecture est valable si elle suscite plusieurs niveaux de signification et plusieurs interprétations combinées. » Par-delà le ton claironnant du manifeste, les déclarations de Venturi sont l'indice d'un changement d'appréciation de l'architecture après un demi-siècle de dogmatisme moderniste : l'humour intervient désormais dans les rapports que les historiens entretiennent avec leur objet, et avec lui se fait jour une conception plus diversifiée de la temporalité historique.

Ce n'est pas un hasard si, après le silence du mépris, des expositions ont été organisées dès les années 1970 et si des livres ont été consacrés, au même moment, à l'architecture « des Beaux-Arts », c'est-à-dire sur ce que l'on pourrait dénommer, s'il était possible de lui donner une identité, l'éclectisme même. La réhabilitation de ce dernier a engendré un nouvel académisme du bricolage excentrique comme en témoigne le projet de Philip Johnson pour l'immeuble de A.T. & T. (1986), à New York. La force dialectique de l'éclectisme risquerait alors d'être annulée, si le postmodernisme ne faisait que prendre la place de la puritaine architecture de prestige qu'il dénonce. L'éclectisme pourra tout aussi bien endiguer la crise actuelle de la production architecturale que l'accélérer : changeant constamment de fonction et de statut, il reste au cœur du débat architectural.

Texte de Yve-Alain Bois (L'encyclopédie)

Sociologie | Les méthodes

Une part importante des débats scientifiques en sociologie a porté, jusqu'à aujourd'hui, sur les questions de méthode. Depuis 1895 et l'ouvrage fondateur d'Émile Durkheim Les Règles de la méthode sociologique, on peut même dire que la méthodologie, entendue comme l'ensemble des règles d'investigation et d'administration de la preuve, continue d'occuper le centre des enjeux de la discipline. En sociologie, nombre de clivages (réels ou apparents) sont avant tout d'essence méthodologique. Ainsi, par exemple, le recours à l'analyse statistique comme instrument de validation de théories sociologiques concurrentes, ses limites, la nature et le statut de l'observation directe des comportements, les enjeux de la description, de la compréhension et de l'explication, l'importance accordée aux discours des acteurs ou encore les difficultés de l'analyse (dite « réflexive ») de l'expérience personnelle sont parmi les points les plus controversés.
Plutôt que d'un recensement exhaustif des différentes méthodes d'investigation et d'administration de la preuve, il s'agira ici d'introduire à la réflexion sur le statut des différentes techniques utilisées en sociologie pour produire des faits, traiter des données (quantitatives ou qualitatives) et pour les interpréter sociologiquement.

Chacune de ces étapes (ou composantes) de la démarche sociologique fait l'objet de conceptions fort variées, les exclusives méthodologiques côtoyant parfois le relativisme le plus débridé. Cette situation épistémologique, relativement incertaine, a conduit quelques auteurs, tels Jean-Michel Berthelot ou Jean-Claude Passeron, particulièrement sensibles aux dangers de l'impérialisme d'une méthode – ou, encore plus souvent, d'une théorie – particulière, à défendre, en méthodologie comme en théorie, une conception « pluraliste » qui paraît au premier abord déroutante dans un champ scientifique. Nous mettrons, pour notre part, plutôt en avant le projet d'une « intégration » des différentes méthodes, laquelle serait mise au service de l'unification théorique, nécessairement partielle et progressive, de la sociologie, et se place dans le prolongement du programme durkheimien.


I -  La production des faits sociologiques
Karl Marx
Karl Marx (1818-1883), philosophe et économiste, théoricien du matérialisme dialectique, cofondateur de la Ire Internationale socialiste
Il est difficile de contester la très grande diversité des « faits » sur lesquels s'est bâtie la discipline sociologique depuis les origines. Pour ne parler que des seuls trois « fondateurs », alors qu'Émile Durkheim regroupe des données statistiques officielles sur le suicide et sur les divers facteurs susceptibles d'en expliquer les variations, Max Weber s'appuie plutôt dans ses travaux sur les grandes religions sur un matériau historique « de seconde main » dont il possède une connaissance encyclopédique, couplée à une immense capacité de synthèse et d'analyse comparative ; Karl Marx (Voir photo) combine matériau historique, observations journalistiques et données économiques pour fonder une théorie générale de la dynamique des sociétés humaines centrée sur la lutte des classes et les conditions de leur reproduction matérielle. Aujourd'hui, les sociologues professionnels ont – encore plus – recours à toutes sortes de matériaux : données statistiques issues d'enquêtes de tailles extrêmement variées, observations in situ, entretiens, récits de vie, textes, images, données « qualitatives » issues de l'expérience personnelle... Pour traiter ces données, ils font appel à des techniques elles-mêmes très diverses : analyse « qualitative », analyse des données, modélisation, simulation, etc.

L'unité de ces différents matériaux et techniques tient avant tout au fait que les données sociologiques ne sont pas le résultat d'expérimentations en laboratoire, contrairement à celles sur lesquelles reposent la physique, la chimie, la biologie, la psychologie expérimentale... Ce sont des données d'observation, ce qui ne signifie nullement qu'elles ne soient elles-mêmes le produit d'un processus de construction très élaboré. Dans son essai Statistique et expérience de 1922, François Simiand considérait même que les données convenablement recueillies par le sociologue ne présentaient pas de différence de nature avec les données expérimentales. L'expression « sociologie expérimentale » est d'ailleurs parfois encore utilisée de nos jours pour désigner la sociologie empirique « quantitative », bien que celle-ci reste éloignée de la démarche expérimentale proprement dite. En sociologie, comme dans d'autres sciences sociales proches et soumises aux mêmes contraintes épistémologiques (en particulier l'histoire), le contrôle des facteurs expérimentaux est quasi impossible à réaliser comme il peut l'être dans les domaines physique, chimique ou biologique : dans la réalité sociale, toutes les variables fluctuent simultanément sans que l'on puisse parvenir à isoler un effet par une opération de construction artificielle de l'ensemble des autres effets observés. Dès lors, il convient de s'appuyer sur des techniques particulières, mais aussi sur un « système » d'interprétation théorique permettant de déterminer et de hiérarchiser les effets et d'élaborer un « modèle » (au sens large) de la réalité sociale.


L'observation
L'observation systématique est, dans de nombreuses disciplines, un instrument de base de la démarche scientifique. En un sens, tout être humain, quels que soient sa catégorie sociale, son âge, son sexe, ne cesse d'« observer » la réalité, physique et sociale, autour de lui : c'est même sur la base de cette pratique spontanée que s'est déployée la discipline sociologique, comme se sont déployées avant elles les autres disciplines, plus particulièrement après qu'elles eurent rompu avec une posture purement théoricienne. On peut voir, d'une manière générale, dans le recours méthodique à l'observation l'un des traits les plus spécifiques de ce que l'on appelle la « révolution scientifique ». Les progrès du savoir empirique sont liés au recours croissant et de plus en plus réfléchi et systématique à l'observation sous toutes ses formes.
En sociologie, l'observation directe en tant que technique d'enquête a longtemps été considérée comme « subalterne », alors même que les plus grands sociologues pouvaient s'appuyer dans leurs travaux sur des observations (plus ou moins) systématiques et contrôlées, parfois issues de leur expérience personnelle. L'observation directe a plutôt été associée à l'ethnographie, et, encore aujourd'hui, les techniques d'observation dites in situ sont souvent qualifiées d'« ethnographiques ». Marcel Mauss, dans son Manuel d'ethnographie (1947), fournissait d'ailleurs un ensemble de recommandations particulièrement utiles et transposables aux sociétés contemporaines quant à l'usage pratique des techniques d'observation directe des comportements. Marcel Maget, dans le Guide d'étude directe des comportements culturels paru en 1953, a prolongé cette démarche de codification et de transmission de la pratique de l'observation.
Avec l'école de Chicago, l'observation avait acquis dès le début du xxe siècle le statut d'une méthode d'investigation concrète en sociologie. Elle commence alors à faire l'objet d'une mise en forme méthodologique et devient, dans les années 1970-1980, l'une des techniques les plus utilisées de la discipline, au détriment du modèle structuro-fonctionnaliste. Dans l'étude des sciences, celui-ci, développé par Robert K. Merton, est associé à l'usage des données scientométriques, du questionnaire et à la soumission au discours « officiel » des savants sur leur discipline. Le caractère prolongé et répété de l'observation, le recours à des annotations régulières et le plus systématiques possibles (le « carnet de terrain » de l'ethnologue), à des enregistrements et des photographies, enfin la pratique du codage, voire du comptage, tous ces dispositifs d'établissement critique des faits définissent désormais un ensemble de canons scientifiques, formalisés et enseignés.

Les « faits sociaux » recueillis à partir d'observations ont pour caractéristique une certaine densité, liée à leur ancrage dans un contexte spatial et temporel plus ou moins strictement délimité, un système de coordonnées géographiques et historiques précises, une « population de référence » restreinte. Une seule situation d'interaction entre quelques individus, bien analysée, permet d'étudier en profondeur certains enjeux et d'analyser de façon fine certains processus sociaux.
Il convient ici d'évoquer le recours à l'expérience personnelle comme source de données et d'analyses sociologiques. On sait, par exemple, que beaucoup d'étudiants devant réaliser un travail de recherche ont tendance à prendre leur propre expérience (en tant que sportif, musicien, consommateur, etc.) pour premier objet de leur réflexion sociologique. Ce retour réflexif n'est pas illégitime. L'auto-observation – qui est le fondement de l'auto-analyse ou socio-analyse – a non seulement droit de cité en sociologie, même si son usage peut être particulièrement difficile, mais elle apparaît même comme une condition de contrôle par le chercheur de ses propres biais sociaux. Radicalisant cette démarche, certains sociologues, comme Loïc Wacquant (2004), considèrent même que seule l'expérience « charnelle » d'une situation ou d'une condition particulières permet de vraiment la « comprendre », voire de l'« expliquer », et que c'est là un objectif central du travail sociologique. Sans adopter une telle position, répétons quand même qu'une auto-observation régulière fait sans aucun doute partie des conditions de réalisation d'un travail sociologique contrôlé, ne serait-ce qu'en participant d'un travail d'objectivation des conditions de production des faits analysés.


Entretiens, textes, discours
La sociologie fait un usage abondant de matériaux « linguistiques », de paroles et de discours (écrits et oraux) qui peuvent être recueillis de manières très diverses. La pratique de l'observation in situ conduit souvent, par exemple, à recueillir des extraits d'interactions langagières, de discours individuels (issus, par exemple, d'entretiens), des documents se présentant sous la forme de textes, etc. Ce recueil se fait en général à l'aide d'un dictaphone, mais aussi, parfois, d'une caméra, et s'accompagne de l'utilisation croissante de photographies et de matériaux iconographiques.
La technique de l'entretien sous ses diverses formes (du plus codifié au plus libre, de l'individuel au collectif...) permet de recueillir les discours d'individus bien choisis. La méthodologie de l'entretien a, depuis longtemps, mis l'accent sur les conditions sociales de production d'un discours toujours conçu dans une situation particulière pour un enquêteur doté lui-même de caractères spécifiques. Cette technique, utilisée en histoire orale comme dans d'autres domaines des sciences de l'homme et de la société, est enseignée en sociologie comme l'une des principales méthodes d'investigation, car elle permet de produire rapidement et à relativement peu de frais des informations situées et précises et, par là, de saisir les enjeux qui traversent un univers social. Elle permet en particulier d'atteindre la sphère des représentations et de la perception subjective d'une réalité par ses acteurs, qui sont à la fois complexes et situées. Parfois associée à une sociologie plus proche des acteurs sociaux, moins « objectiviste » ou plus « compréhensive », la technique de l'entretien peut aussi permettre de faire apparaître des aspects du réel moins bien saisis par l'objectivation statistique, comme par exemple la souffrance d'origine sociale telle qu'elle est vécue individuellement (Bourdieu et al., 1993).

Les techniques biographiques reposent également le plus souvent sur l'étude de discours biographiques et autobiographiques, mis en contexte et situés au sein d'univers sociaux particuliers. Leur usage de plus en plus important dans les années 1970 et 1980 correspond à une volonté de réhabiliter les représentations des catégories dominées face au regard ethnocentrique des sociologues issus des groupes dominants. On retrouve ce qui fait la force de la démarche d'observation : la volonté de « coller » au plus près des acteurs sociaux, de leurs mobiles, de leurs actions et de leurs discours, de comprendre leurs trajectoires « de l'intérieur ».


Diversité des données statistiques
Il reste que la sociologie ne saurait exister comme discipline scientifique sans ce que François Héran a appelé son « assise statistique » (1984). Depuis le programme durkheimien, une tradition désormais diversifiée, sur les plans à la fois théorique et méthodologique, fait jouer à la validation statistique un rôle décisif dans la conquête de la scientificité et dans le progrès des théories. Si elle est contestée par certains tenants d'approches moins quantitatives, cette conception continue de structurer profondément l'identité de la discipline, les méthodes « qualitatives » apparaissant en général plus comme complémentaires que comme concurrentes des démarches d'administration de la preuve prioritairement adossées à la statistique.
Les données expérimentales ont, nous l'avons vu, une place très réduite en sociologie : les statistiques utilisées sont essentiellement des données d'observation. Cela signifie qu'elles ne reposent pas sur la construction d'une situation artificielle qui permettrait de contrôler les variables « parasites ». Un premier aperçu de l'ensemble des pratiques statistiques en sociologie permet de distinguer plusieurs sources de données d'observation : les données issues de fichiers administratifs ; les données issues des recensements de la population ; les données recueillies par le moyen de questionnaires sur des échantillons de tailles très variées selon les objectifs et les conditions de l'enquête ; les données prosopographiques issues de la reconstitution d'informations biographiques à partir de sources d'archives diverses ; les données textuelles, bibliométriques et issues d'observations directes (qui ont pour point commun de reposer au moins en partie sur des comptages) ; les données des comptes nationaux et des indicateurs synthétiques regroupant des informations issues de modes de collectes divers.
Ces données sont produites par des institutions ou des acteurs très diversifiés : administrations, organismes de statistique publique, instituts d'études de marché et de sondages, centres de recherches universitaires...
– Les sociologues ont souvent été conduits à s'appuyer sur des informations d'origine administrative pour explorer leurs hypothèses. Ainsi, c'est sur des données d'état civil, policières et judiciaires que s'appuie Durkheim dans Le Suicide (1897).
– Le recensement de la population est l'opération statistique la plus lourde et la source des données les plus complètes sur la population d'un pays donné.
– La pratique du questionnaire auprès d'un échantillon extrait d'une population s'est développée surtout depuis les années 1930 et elle n'a depuis lors cessé d'être mise en œuvre dans différents pays. Elle s'appuie sur le recours à l'inférence statistique, qui permet de prélever des informations sur un petit nombre d'individus (issus d'une procédure d'échantillonnage) en vue de tirer des conclusions relatives à une population plus vaste. La France, comme d'autres pays européens, est dotée d'un important système de statistique publique, c'est-à-dire d'organismes et de personnels spécialisés dans la collecte de données nationales, mais aussi régionales et locales à partir de tels échantillons de grande taille. Mais un grand nombre de données qui sont aujourd'hui présentes dans le débat public, les médias, la vie des organisations sont issues d'enquêtes de taille en général plus réduite menées par des instituts privés. Une part importante de ces données est constituée par les sondages relatifs à la popularité des responsables politiques, aux intentions de vote, au vote reconstitué , aux attitudes et opinions politiques. L'usage actuel en France en matière de sondage est de travailler sur des échantillons d'environ 1 000 personnes, constitués selon la méthode des quotas, les enquêtés étant le plus souvent interviewés par téléphone. Les enquêtes réalisées par les chercheurs le sont parfois conjointement avec les organismes du système statistique public et sont alors de taille presque comparable aux grandes enquêtes. De petites enquêtes portant sur des échantillons limités mais bien constitués peuvent apporter des connaissances très fines sur un sujet précis. On est alors relativement proche des études expérimentales réalisées en sciences biomédicales, en épidémiologie ou en psychologie, portant dans certains cas sur un nombre de sujets restreints.
– Le mot « prosopographie », utilisé par les historiens depuis la fin du xixe siècle, désigne le recueil systématique de données sur des personnes en vue de fabriquer des « biographies collectives », par exemple sur le personnel dirigeant d'un État à telle période. Les informations sont recueillies à partir d'archives ou d'annuaires et de dictionnaires biographiques. En sociologie, l'usage de la prosopographie s'est développé en France à partir des années 1970 dans l'étude de fractions des « élites » contemporaines.
– Toute action supposant un enregistrement automatique (passage à un péage, achat, connexion à un site Internet, etc.) permet de recueillir directement des données d'observation, c'est-à-dire sans la médiation de l'action d'un enquêteur, d'un codeur, etc. Rien n'empêche de plus le chercheur de construire lui-même un dispositif de recueil direct d'information, sous la forme de comptages automatiques ou, le cas échéant, manuels. Les données textuelles autres que celles produites dans les questions ouvertes des questionnaires reposent sur des corpus également construits par le chercheur.
La scientométrie consiste à recueillir de manière systématique des informations sur la production d'articles (en particulier scientifiques) et sur leurs citations, dans un ensemble bien défini de revues.
On peut également produire des données quantitatives en faisant des comptages simples (manuels) dans un contexte d'observation directe, de type ethnographique.
– Élaborées à partir des résultats de diverses enquêtes par questionnaire, de fichiers administratifs, etc., des données économiques et sociales de synthèse permettent d'alimenter le débat public. Les agrégats (indicateurs globaux) issus des comptes nationaux en sont la forme la plus largement diffusée et officielle. Les indicateurs sociaux synthétiques sont devenus, depuis quelques années, une deuxième grande source. C'est par exemple l'Indicateur de développement humain du Programme des Nations unies pour le développement. La construction de ce type d'indicateurs repose sur le recours à de nombreuses données d'enquêtes.


Construction sociale des données sociologiques
En sciences sociales, les données reposent sur un processus d'enregistrement qui n'est pas toujours maîtrisé dans sa totalité par le chercheur. Même lorsque le chercheur produit lui-même ses données, par exemple à partir de comptages, il est menacé par divers dangers, comme celui de l'ethnocentrisme.
Simiand distinguait deux types de critiques des données : la critique d'exactitude, tournée vers la signification interne des données, et la critique d'aptitude, qui porte sur leur pertinence relative aux buts du chercheur. « Nous avons à nous demander si ces données nous présentent, ou nous permettent d'obtenir, sur le fait objet de notre étude et sur tous les autres faits que nous désirons connaître avec lui [...], les notions qui nous ont paru convenir et importer à notre étude de science. Après l'examen du rapport des données à la réalité (critique d'exactitude), nous avons donc bien à faire examen de leur rapport à ce que nous désirons en savoir et atteindre, ou critique d'aptitude à notre étude telle que déterminée » (Le Salaire, l'évolution sociale et la monnaie, 1932). D'une manière plus générale, comme le souligne Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant dans un ouvrage paru en 1992, la pratique de l'enquête quantitative est une pratique réflexive, une anthropologie réflexive dans laquelle le sujet de l'observation (avec ses mots, ses catégories de classement, ses routines mentales...) ne devrait pas cesser de se prendre lui-même pour objet.
Les données issues d'un enregistrement administratif posent divers problèmes. Leur caractère fondamentalement politique en fait des produits qui échappent pour une part à une démarche autonome. Cela ne condamne pas leur usage, mais rend nécessaire la double critique de Simiand (exactitude et aptitude), permettant de déterminer ce qu'ils mesurent et leur pertinence pour la problématique du chercheur. Le principal problème rencontré est lié à l'opération de classification. Les agents de l'État et, plus largement, les membres des groupes sociaux qui le contrôlent ne cessent d'opérer des classements à partir desquels sont comptés des individus, mesurés des flux monétaires, enregistrées des opérations administratives, etc. Or les systèmes de classement officiels, produits d'une histoire sociale spécifique, n'ont que rarement le caractère universel qui les rendrait valides sans limitation dans le temps et l'espace. Les catégories utilisées portent toujours la trace du contexte politique, juridique et moral dans lequel elles sont utilisées : leur point de vue crée ainsi en partie l'objet étudié. Dès lors, il faut en revenir à la démarche proposée par Simiand qui consiste à soumettre toute observation statistique à la double critique d'exactitude et d'aptitude, et à déployer toutes les ressources possibles pour donner sens aux données et être en mesure de cerner les limites de validité des résultats obtenus.
Dans certains cas, le questionnaire auprès d'un échantillon de taille importante apparaît aux chercheurs comme un recours face aux déficiences de l'information administrative. Cela ne signifie pas qu'il serait indemne de toute critique. L'usage du questionnaire n'est pas seulement une technique, mais aussi une pratique de construction sociale de l'information. Tout rédacteur de questionnaire est ainsi, par exemple, menacé par le risque de l'imposition de problématique. Une fois qu'il se trouve face à un enquêté, encore faut-il que les questions qu'il lui pose aient une signification pour celui-ci, ce qui est loin d'être toujours le cas.

Une critique sociologique radicale des sondages d'opinion suscitée par ce problème de l'imposition de problématique s'est ainsi développée, en particulier après la publication d'un article de Pierre Bourdieu intitulé « L'opinion publique n'existe pas » (1971).
Parmi les principales critiques que l'on peut adresser aux enquêtes d'opinion, nous citerons seulement ici :
– le caractère très particulier des échantillons prélevés, compte tenu de l'importance actuelle des refus de réponse. Les répondants effectifs sont de tous les répondants potentiels les mieux disposés à l'égard de l'enquête et du thème abordé ;
– l'importance des non-réponses. Elle est réduite dans les conditions actuelles de saisie informatisée, mais elle fournit un indicateur de la distance à l'enquête qui caractérise beaucoup d'enquêtés ;
– la signification fragile de nombreuses réponses qui sont en quelque sorte arrachées aux enquêtés, en particulier lorsque les questions ne font pas sens pour eux ou créent une situation artificielle (de type scolaire ou administrative) ;
– d'une manière plus générale, toute forme de surinterprétation qui repose sur ce que l'on peut appeler l'ethnocentrisme savant : on prête aux enquêtés un raisonnement, des intérêts, une perspective qui sont ceux de l'enquêteur.

Le travail prosopographique ou sur un corpus de texte est loin d'être totalement exempt de difficultés. Les principales d'entre elles portent sur la définition de la population ou du corpus étudiés, ainsi que sur les limites de l'information accessible.

La construction d'agrégats et d'indicateurs à des fins de synthèse de l'information économique et sociale pose de nombreux problèmes souvent sous-estimés par les usagers de ces données qui circulent en permanence dans l'espace public. On sait bien par exemple que les pollutions environnementales, dans la mesure où elles donnent lieu à un surcroît d'activité marchande, sont comptées comme un apport positif à la production. La production des services publics non marchands est mesurée conventionnellement à partir des coûts, ce qui ne va pas non plus de soi. Les indicateurs synthétiques qui entendent suppléer à ses limites reposent eux aussi sur des conventions – choix et définition des variables composantes, pondérations, etc. – qui doivent être explicitées.

La diversité des méthodes d'investigation et leurs conditions complexes d'utilisation condamnent-elles la sociologie à l'émiettement ou encore à des orientations et des pratiques de validation variant selon les seuls choix des chercheurs ? On peut au contraire penser que, muni d'une capacité réflexive à examiner les conditions de validité des données, le sociologue dispose de nombreux outils scientifiques permettant de produire des faits avec une importante garantie de solidité, capables de résister à la fois aux critiques d'exactitude et d'aptitude issues du contrôle croisé de ses pairs.


II - Du traitement de l'information à l'interprétation sociologique
Le recueil de données n'est jamais indépendant d'une problématique théorique qui l'oriente et lui donne sens. Aussi la distinction entre la production et l'interprétation des faits peut-elle sembler en grande partie artificielle. Pourtant, il est utile de distinguer la problématique et les hypothèses théoriques en premier lieu, le dispositif de production des faits ensuite et, pour finir, leur interprétation, qui fait retour sur la problématique et les hypothèses initiales afin de les renforcer ou, au contraire, de les corriger voire de les invalider. Dans le contexte de données statistiques, il convient même, comme nous le verrons, d'ajouter une distinction entre l'interprétation statistique et l'interprétation proprement sociologique des données recueillies.
Les cadres théoriques fonctionnent à la fois comme sources de questionnement et de recueil de données et comme ensemble de schèmes interprétatifs des données recueillies. Ces cadres théoriques peuvent être plus ou moins clairement formalisés et explicités dans les recherches sociologiques empiriques.
L'individualisme méthodologique représenté en France par Raymond Boudon  est ainsi souvent associé à la formulation précise de modèles simplifiés du réel, reposant sur quelques principes de comportement : rationalité individuelle, cohérence des préférences... La modélisation des comportements est parfois elle-même associée à l'usage de la formalisation mathématique, comme dans les sciences économiques.

Raymond Boudon
Trop souvent confondue naguère, non sans raisons d'ailleurs, avec une critique idéologique des organisations sociales, la sociologie a été replacée par Raymond Boudon sur le plan de l'analyse strictement scientifique.


D'autres orientations plus inductives, laissent plus de place à l'analyse des données (au sens large) et accordent aux concepts théoriques un statut, plus heuristique, de guide pour l'interprétation : c'est le cas des notions de champ ou d'espace social telles qu'elles sont utilisées dans les travaux inspirés par Pierre Bourdieu.
La diversité des systèmes d'interprétation en sociologie, qui se traduit, comme le souligne Jean-Claude Passeron, par la coexistence de lexiques sociologiques différents, condamne-t-elle un peu plus à une sorte de relativisme généralisé ? Ne peut-on penser, au contraire, qu'elle correspond à une phase du développement de la discipline caractérisée par la concurrence entre théories et par la multiplication foisonnante et parfois apparemment contradictoire des données observées ? L'entrée dans une phase d'unification théorique n'est sans doute pas à l'ordre du jour, mais elle constitue selon nous l'horizon intellectuel de la discipline en tant que science.


Compréhension et explication des données
C'est autour des notions de compréhension et d'explication que s'articulent les grandes conceptions de l'interprétation sociologique. Schématiquement, nous distinguerons la tradition webérienne (ou subjectiviste) et la tradition durkheimienne (ou objectiviste), étant entendu que cette opposition, souvent caricaturée dans les manuels, ne doit pas être considérée comme insurmontable.
Dans la tradition webérienne, la sociologie ne cherche pas à établir de « lois » ni même de « régularités » objectives, notions caractéristiques d'une conception « nomologique » issue des sciences de la nature. Il s'agit plutôt de reconstituer par la compréhension le sens subjectif de l'action des acteurs sociaux pour interpréter les faits historiques dans toute leur singularité. Pour comprendre la Révolution française, on cherchera à comprendre le sens, les représentations et valeurs que les divers acteurs de celle-ci ont engagés dans le processus révolutionnaire. Sciences historiques et sciences naturelles sont alors radicalement opposées, selon une ligne de partage issue de la tradition philosophique allemande soulignée par Raymond Aron.

Dans la perspective de l'individualisme méthodologique qui radicalise en quelque sorte cette conception webérienne, comprendre le sens subjectif de l'action est la première et la principale étape de l'analyse sociologique (Boudon, 2003). Dans un second temps, l'effet de l'agrégation des actions individuelles permet d'interpréter les faits sociaux proprement dits : le collectif résulte de la somme des comportements individuels ainsi que d'éventuels effets pervers ou non voulus résultant de cette agrégation. L'explication causale repose donc alors principalement sur la connaissance des fins de l'action individuelle, et non sur un schéma causal externe aux acteurs (jugé « mécaniste ») emprunté aux sciences de la nature. De même, une vision « nomologique » de l'évolution historique est rejetée au profit de l'étude de tendances réversibles et partiellement contingentes.

La démarche compréhensive ainsi entendue n'échappe pas à la nécessité de recourir à des dispositifs de connaissance, tels que la construction d'idéaux-types ainsi que les conçoit Max Weber. L'usage contemporain de méthodes de simulation peut, par exemple, être décrit comme un prolongement de cette démarche : une fois posés quelques principes portant sur les comportements et relatifs à leur cadre structurel, la formalisation permet de déduire un ensemble de conclusions simulées, qui sont ensuite comparées avec les données réellement observées. La compréhension du comportement individuel a dès lors un rôle proprement « explicatif » dans cette perspective.

Dans une orientation plus « objectiviste », développée notamment par Pierre Bourdieu, la compréhension de l'action individuelle suppose d'abord la connaissance de l'ensemble des déterminants sociaux qui la conditionnent (normes sociales, contraintes objectives, dispositions intériorisées...). Comprendre l'action « de l'intérieur » et accéder au système complet des causes qui la façonnent « de l'extérieur » sont alors les deux faces d'un même processus : expliquer et comprendre, loin de s'opposer ou même d'apparaître comme complémentaires, relèvent d'un seul processus cognitif ; il s'agit d'accéder à la connaissance de la « nécessité » d'un comportement, d'une trajectoire, d'une croyance pour tel ou tel acteur ou groupe d'acteurs.
Aucun sociologue ne nie donc l'importance d'un recours à la posture compréhensive, mais c'est autour des facteurs sociaux des choix, de la genèse des actions individuelles que se nouent les principales controverses théoriques, sur lesquelles nous ne revenons pas ici. Dans l'idéal, celles-ci devraient progressivement être dépassées grâce à la multiplication des dispositifs empiriques d'observation, de validation, à la comparaison systématique et à l'accumulation de résultats à la fois de plus en plus diversifiés et couvrant un domaine de plus en plus vaste de la réalité sociale. La connaissance du suicide s'est par exemple considérablement enrichie et précisée depuis Durkheim avec le recul d'un siècle de statistiques et la progression de la comparaison internationale (Baudelot et Establet, 2006).


L'interprétation statistique des données sociologiques
Confrontés à des données statistiques recueillies ou non par eux, les sociologues ont à leur disposition l'ensemble des techniques issues des développements de la statistique. Celles qui sont utilisées en sociologie sont relativement nombreuses, mais elles peuvent être regroupées en grandes familles. Nous n'en ferons pas ici de présentation exhaustive mais nous rappellerons plutôt quels sont les principaux outils et techniques utilisés, en essayant de mettre l'accent sur les conceptions théoriques auxquelles ils sont associés.


L'étude des tableaux de contingence
L'utilisation des tableaux de contingence permet de préciser quelles sont les liaisons entre variables ainsi que d'étudier leur structure. Leur étude est le « pain quotidien » du chercheur en sciences sociales. C'est, par exemple, en croisant les données relatives aux postes budgétaires des familles de différentes catégories sociales, en les spécifiant par niveau de revenu, que Maurice Halbwachs a nourri ses analyses sur les fondements sociaux des pratiques de consommation.


Méthodes géométriques et construction d'un espace social
Les méthodes géométriques que sont l'analyse en composantes principales (A.C.P.) et l'analyse des correspondances multiples (A.C.M.) permettent de construire un espace social, c'est-à-dire de définir une distance entre les individus statistiques à partir des variables retenues dans ce but (que l'on appelle les variables actives). Les individus sont alors représentés sous la forme d'un nuage de points dans un espace multidimensionnel. Une fois l'espace défini par le choix des variables actives, l'analyse géométrique des données consiste à réduire le nombre de dimensions de cet espace en créant un nouveau système d'axes (appelés dimensions principales, axes factoriels, etc.), ce nouveau système d'axes étant tel que la dispersion (variance) du nuage projeté sur la première dimension soit maximale (c'est-à-dire que sur cet axe la variance du nuage soit la plus élevée possible) et ainsi de suite pour les autres dimensions.
Les deux étapes essentielles dans la construction de l'espace social sont dès lors la détermination de la liste des individus actifs et celle de la liste des variables actives de l'analyse effectuée. Ce choix revient à construire l'espace social approprié à l'étude en définissant une distance entre les individus. L'interprétation statistique d'une A.C.M. s'appuie sur l'étude d'un ensemble de valeurs numériques et sur celle de nuages de points.


Classification
Comme dans les sciences de la nature, la visée taxinomique est présente en sciences sociales. Elle conduit à recourir à des méthodes de classification automatiques, aujourd'hui très diverses Jean-Paul Benzécri (La Taxinomie, 1973) a consacré l'un des deux tomes de son ouvrage de référence à la taxinomie. Le choix d'un critère d'agrégation des individus est ici fondamental. Dans la classification ascendante hiérarchique, qui est en harmonie avec les méthodes géométriques, le critère utilisé est le critère de la variance : on cherche d'abord la paire de points dont l'agrégation entraîne une diminution minimum de la variance (Henry Rouanet et Brigitte Le Roux, Analyse des données multidimensionnelles, 1993).


Régression
La volonté de prédire la valeur d'une variable à partir de variables indépendantes conduit à l'approche de la régression, beaucoup utilisée en sociologie. On utilise classiquement la régression linéaire pour les variables numériques, d'autres types de régression pour les variables catégorisées (en particulier la régression logistique). « La régression met en jeu un schéma explicatif dès lors qu'on donne à la variable à prédire le statut de „variable à expliquer“ et aux variables prédictrices celui de „variables explicatives“ ». Dans cette perspective, on cherchera à expliquer la réussite des élèves à partir de plusieurs variables explicatives, disons le sexe (variable d'intérêt) et de diverses variables d'environnement : lycées, etc. Intuitivement, on cherche les « poids relatifs » qui reviennent aux diverses variables dans le schéma explicatif, et le coefficient de régression d'une variable explicative est interprété selon la phraséologie de l'effet vrai, « toutes choses égales par ailleurs » – c'est-à-dire de fait, conditionnellement aux autres variables retenues dans le modèle-cadre » (Rouanet et al., 2002).

Il existe bien sûr de nombreuses autres méthodes statistiques utilisées pour les données d'observation qui ne se placent pas dans une perspective géométrique : les modèles log-linéaires dans l'étude des tableaux de contingence ; les méthodes d'analyse de réseaux qui permettent de décrire et visualiser les relations (liens) entre individus dans une unité sociale déterminée (une entreprise, une association...), beaucoup utilisées dans le domaine de la sociologie économique (Lazéga, 1998) ; les méthodes d'analyses des biographies qui visent à rendre compte de la probabilité d'événements individuels ; les méthodes « multi-niveaux » qui visent à étudier les articulations entre niveaux différents (local, régional, national...) de la réalité sociale.
Mentionnons enfin le travail statistique sur des données textuelles, consistant à produire et analyser des données qui peuvent être fondées sur les occurrences, dans une logique qui va de la description à l'analyse, mais aussi à partir d'un travail de construction théorique (linguistique et cognitif) préalable. Rodolphe Ghiglione et al. (1998) distinguent ainsi : les approches lexicométriques, fondées sur l'analyse des fréquences d'occurrence de mots d'un corpus ; les approches socio-sémantiques, qui reposent sur l'élaboration préalable d'une analyse de contenu thématique ; les analyses par réseaux de mots associés, fondées sur l'étude des occurrences et des proximités des termes ; les analyses propositionnnelles et prédicatives (analyse cognitivo-discursive), qui intègrent une réflexion pragmatique sur l'idée que « tout discours met en scène des mondes inscrits dans une histoire, construits selon des règles de cohésion, de cohérence, de consistance et causalement liés ».


De l'interprétation statistique à l'interprétation sociologique
Deux phases peuvent être distinguées dans l'interprétation globale d'une analyse statistique en sociologie : l'interprétation statistique et l'interprétation sociologique. Celle-ci met en œuvre un modèle « explicatif » (plus ou moins formalisé) et renvoie donc directement à la discipline et au cadre théorique de référence. La phase d'interprétation statistique proprement dite devrait, idéalement, être indépendante des hypothèses et du cadre théorique posés au départ : elle est sur ce point analogue à ce qu'est pour le chercheur en sciences de la nature l'expérimentation en laboratoire.

Dans un premier temps, l'interprétation statistique établit les faits statistiques observés. Dans un second temps, l'interprétation sociologique les confronte à la problématique, aux hypothèses et aux questions formulées initialement. Les conclusions statistiques et les conclusions sociologiques doivent être cohérentes : le texte sociologique repose sur les faits statistiques établis.

La question du caractère « explicatif » d'une analyse est souvent posée par les sociologues. En réalité, comme l'écrivent Ludovic Lebart, Alain Morineau et Marie Piron, « la statistique n'explique rien, mais elle fournit des éléments potentiels d'explication ». On sait aussi depuis longtemps que « corrélation n'est pas causalité ». L'explication relève en propre du domaine des sciences sociales : la statistique permet de fonder des explications, de départager des théories explicatives opposées, mais elle ne fournit pas en elle-même d'explication. La statistique met au jour des effets qui fournissent le support de l'interprétation.
Les théories sociologiques peuvent porter sur un cadre spatio-temporel plus ou moins large : ainsi, on peut aussi bien construire des théories du développement économique et social du monde depuis le Moyen Âge (comme par exemple l'analyse du processus de rationalisation des sociétés occidentales par Max Weber) ou des théories interprétatives limitées à un quartier, une ville et une période, voire à un groupe d'individus bien déterminés dans une situation ponctuelle.
L'observation des effets est le premier temps de la démarche statistique. Une fois un effet établi et jugé intéressant, l'inférence permet le cas échéant de déterminer s'il est dû au hasard ou d'étendre le résultat à une population plus vaste. Une revue systématique, pour reprendre le mot de Simiand, des effets attestés dans la littérature scientifique et leur interprétation sociologique permet de construire de manière cumulative un ensemble de savoirs solides, c'est-à-dire collectivement certifiés. Ainsi progressera la théorie sociologique, par la confrontation avec un ensemble de données de plus en plus systématiques et par leur mise en relation.
Cette démarche ne vaut-elle que pour les méthodes « quantitatives » de la sociologie ou peut-elle être étendue aux enquêtes reposant sur d'autres techniques comme les entretiens, ou encore sur l'observation directe ? On peut tout d'abord arguer qu'une enquête « qualitative » repose sur la même logique scientifique d'ensemble et accompagne souvent, dans une dialectique subtile, l'enquête quantitative, même si la formalisation de la problématique et des hypothèses y est, souvent, moins stricte et explicite. Mais on peut aller encore plus loin et voir dans le schéma proposé ici un cadre méthodologique de portée générale. On peut aussi, simplement, rappeler que la portée des conclusions tirées d'une enquête monographique n'est tout simplement pas la même que celle d'une étude statistique portant sur des populations plus vastes. C'est l'interprétation sociologique, donc en définitive le travail théorique sur les données (au sens large), qui permettra in fine de situer l'apport respectif des différentes enquêtes (et, partant, des différentes méthodes) à l'accumulation du savoir sociologique.

Texte de Frédéric LEBARON (L'encyclopédie)
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Texte de Frédéric LEBARON (L'encyclopédie)

Sociologie | La démarche sociologique

On parle de démarche en sociologie pour indiquer non pas une suite balisée d'opérations répertoriées par la littérature méthodologique (observations conduisant à des questions, puis recueil de données, choix d'un cadre théorique, hypothèses, vérification, discussion des théories alternatives...), mais plutôt une façon de voir, un regard et une écoute, bref une posture qui se distingue par le point de vue pris sur les choses. Cette posture est un préalable fondamental qui est très inégalement accessible, d'une part, en fonction des époques et de l'état des savoirs, et, d'autre part, en fonction de la position occupée dans la société : pour observer le réel, il faut d'abord pouvoir prendre du recul par rapport aux routines et aux évidences de la vie ordinaire, ce qui suppose d'avoir fait l'expérience de leur contingence, de leur relativité historique. Une telle disposition sociologique, loin d'être un apanage de corporation, est présente chez plusieurs individus souvent en porte à faux, par exemple chez un romancier comme Marcel Proust lorsqu'il décrit les différences entre groupes sociaux dans les formes de sociabilité ou dans les manières de s'exprimer, et lorsqu'il montre les effets sur les individus de l'ascension ou du déclin de ces groupes.

La démarche du sociologue combine cette sensibilité aux différences avec une visée de scientificité. Sans vouloir enfermer la science sociale dans un ensemble de propositions définissant sa nature ultime, on peut, sur deux points au moins, se prononcer à coup sûr : elle pratique selon des procédures publiques et contrôlables d'analyse, de démonstration et de vérification, et elle dispose d'un domaine d'objets qui lui est propre. On doit pouvoir la distinguer de genres tels que la philosophie sociale, le prophétisme sociopolitique (ou religieux), l'essayisme, le reportage, la représentation statistique brute, dans la mesure où elle se défie autant des généralités vagues, sans contenu défini et testable, que de simples comptes rendus visant à décrire le réel, mais sans portée générale. Le souci de rigueur – faut-il le préciser ? – n'est pas incompatible avec ce que Charles Wright Mills appelait « l'imagination sociologique », le refus des sentiers battus et l'exploration d'objets et de problèmes nouveaux.

I - Sociologie et rationalité
 
Contre ceux qui s'empressent de mettre en avant le fossé entre les sciences de la nature et les sciences de l'homme, il faut soutenir que celles-ci, quelle que puisse être la façon de penser leur (incontestable) spécificité, relèvent d'un régime commun de rationalité. La sociologie est située, selon Max Weber, du côté des « sciences généralisantes » : elle s'occupe de lois, de types, s'appuie sur la validité du raisonnement statistique, etc. L'accord semble large aujourd'hui pour reconnaître le caractère constructif de la science : loin de dériver de sensations, d'impressions, qui ont certes pu jouer un rôle dans l'observation de récurrences remarquables et dans l'apparition de questions, l'activité scientifique consiste dans l'effort pour soumettre un ordre de phénomènes à une architecture de propositions générales qui contient à la fois une représentation des objets et un programme de recherche suggérant des hypothèses, des procédures d'observation, des comparaisons. On voit mal comment la sociologie pourrait se dispenser de mettre en évidence des régularités, et ce en un triple sens : comme données observables (par exemple, décroissance de la part de la consommation alimentaire avec le revenu), comme lois (variations réglées entre le niveau de revenus et la composition du budget) et comme invariant formel qui permet de rapporter une grande diversité de phénomènes à une même logique (le goût bourgeois). Le travail de généralisation, en sociologie comme en d'autres domaines, implique une recherche de principes rendant compte, de façon économique et féconde, des régularités considérées.

La démarche sociologique conduit à remettre en cause les frontières entre disciplines. Avec la philosophie d'abord, puisqu'elle ne saurait se désintéresser d'un ensemble de présupposés épistémologiques, anthropologiques, éthiques qui sont contenus au moins à l'état pratique dans le travail empirique. Avec l'ethnologie ensuite, puisque les distinctions entre sociétés d'après leur degré de différenciation est un critère secondaire au regard des questions générales qui se posent à l'ensemble des sciences sociales. Avec l'histoire enfin. Les deux disciplines tendent à se rapprocher dès lors que l'une cesse de se concevoir comme se rapportant à un présent sans profondeur et l'autre comme l'ensemble des récits visant à épouser l'inépuisable richesse du passé, et que l'une comme l'autre assument, certes avec des accentuations différentes, la dimension constructive de la connaissance scientifique. À la confrontation stérile entre ces disciplines, on peut substituer une voie commune largement fondée sur la comparaison raisonnée et permettant de ramener l'infinité de cas empiriques à un nombre fini de cas construits (par exemple, la diversité des situations historiques des intellectuels peut être envisagée en fonction de leur distance aux classes dominantes et au pouvoir politique, du degré de monopolisation du savoir, du rôle de la certification scolaire, de l'importance accordée à la rationalité, etc.). En tous cas, les variations demandent à être considérées comme telles, c'est-à-dire comme des possibilités dans un espace logique régi par des principes, structuré par des axes (par exemple les degrés d'anomie et d'intégration des groupes selon Émile Durkheim). L'histoire est la voie d'accès par excellence à l'activité de généralisation. Comparer, ce n'est pas seulement opposer, distinguer, c'est aussi parfois envisager les termes de la comparaison comme des variantes renvoyant, au-delà des apparences liées à la distance temporelle et spatiale, à des invariants de deux sortes. Invariants structuraux qui permettent de discerner des parentés entre domaines différents à travers des relations d'homologie (dominant et dominé ; orthodoxie et hérésie ; défection, protestation et loyauté...). Invariants anthropologiques : dans l'ensemble des sociétés se laissent reconnaître les marques et les contraintes du temps, de la finitude humaine avec les problèmes de concurrence, de reconnaissance, de succession... ; de même, on peut y retrouver les modalités fondamentales de la pratique (savoir-faire et connaissance savante ; degrés de distance au rôle ; assurance et gêne...). D'autres disciplines pourraient également être évoquées (psychologie, économie, linguistique...).

II - Questions de mots
 
Gaston Bachelard avait insisté sur le fonctionnement polémique de la raison scientifique, et à sa suite, Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron avaient voulu montrer qu'en sociologie le fait social est conquis, construit et vérifié. Sans vouloir entrer dans le débat sur les rapports entre la réalité du sens commun et la réalité envisagée par la science, on a de bonnes raisons d'estimer que la démarche sociologique comporte, pour une part importante, une critique des apparences. Si l'on peut se défier des usages ordinaires du langage, c'est surtout parce que ceux-ci tendent à favoriser des affirmations pourvues d'un statut quasi théorique. Par exemple, une conception morale et politique de deux humanités hiérarchisées est à l'œuvre dans une certaine vision savante du « populisme » qui stigmatise la fascination des gens « non instruits » pour les « démagogues ». Le rôle du sociologue est de faire le tri dans les mots, distinguant les attributs qui demandent à être écartés en raison d'une équivocité interne et ceux qui méritent d'être utilisés, moyennant parfois quelques précautions. Or toute sélection de traits pertinents enferme des présupposés théoriques : elle pose une distinction entre ce qui compte vraiment et ce qui ne compte pas, entre ce qui existe vraiment et ce qui n'existe pas, ou seulement de façon apparente.
Cette défiance envers les données premières offertes aux intuitions de sens commun se retrouve pour la délimitation de la population ou du domaine à étudier. On ne peut se voir imposer les limites de l'objet par les circonstances contingentes ou par des routines de l'existence quotidienne. À la différence de l'objet préconstruit par des classements administratifs, juridiques, politiques, économiques, journalistiques, idéologiques, l'objet construit possède un degré élevé de cohérence. Les catégories d'âge qui semblent commander à peu près universellement des découpages de type jeunesse, mâturité et vieillesse ne sauraient être acceptées telles quelles. Au moins deux précautions sont requises : prendre au sérieux la valeur différentielle des termes ; envisager les modalités différentielles des rapports entre les âges selon les groupes sociaux, les institutions, etc. Ce qui signifie, d'une part, que les frontières sont mobiles et, d'autre part, que les modes de vieillissement social diffèrent en fonction des caractéristiques des univers concernés (être un jeune ou un vieux physicien n'a pas la même valeur qu'être un jeune ou un vieux rocker, romancier, évêque). L'âge apparaît ainsi moins comme une donnée que comme un enjeu.
S'il est un point sur lequel le sociologue se distingue du physicien, c'est bien celui des rapports entre langage ordinaire et langage scientifique. Le travail de construction doit échapper à plusieurs tentations. La première est la tentation littéraire qui consiste à faire (ou à laisser) jouer de façon non contrôlée la magie des mots à travers des formules suggestives, des métaphores, des images issues des sciences physiques ou des médias (l'« explosion », l'« implosion »...). À l'opposé, la tentation formaliste repose sur l'illusion d'épurer le langage grâce à l'adoption d'un symbolisme abstrait, d'un appareil de définitions et de conventions qui suffirait à neutraliser les visions profanes. Les deux tentations ont en commun de faire l'économie d'une analyse des questions de mots, de leur teneur implicite et des croyances qu'ils enferment. Ainsi, faute d'apercevoir ce qu'il doit à son point de vue savant, et à la propension à penser le monde comme un texte à déchiffrer, le sociologue peut être porté à accorder une forme de réalité et d'efficience à des tendances immanentes à l'histoire (égalité, individualisme), voire à un « esprit du temps » placé derrière les phénomènes. Le profit et le plaisir de voir la diversité des activités humaines en surplomb et de s'en faire une vue générale détournent de toute interrogation critique sur les mythes et les fictions de la raison savante.
Les mots grâce auxquels le monde social peut être pensé et connu ont eux-mêmes une histoire. La sociologie est une discipline foncièrement historique, non seulement parce que son objet est tel mais aussi parce que l'histoire engendre les catégories de pensée avec lesquelles le sociologue doit compter (l'État, la famille, la nation, le marché, l'intérêt...). D'où la nécessité d'en faire une genèse à la fois intellectuelle et sociale afin de réinscrire dans l'histoire ce qui se donne le plus souvent comme allant de soi. Il s'agit de rendre possible une appropriation de significations contenues dans des notions souvent familières mais en quelque sorte routinisées, fossilisées, à commencer par les notions offertes par la tradition académique.

III - L'objectivité du social
 
La rupture avec le point de vue de sens commun enfermé dans l'usage du langage ordinaire invite à l'objectivation plus qu'à l'objectivisme qui en est la caricature. L'extériorité du social mise en avant par Durkheim dans la célèbre formule « traiter les faits sociaux comme des choses » n'a rien d'une prédilection pour un modèle naturaliste. Le « comme si » (... c'étaient des choses) indique une analogie : de même que la nature physique nous apparaît indépendante de nos représentations et de nos désirs, de même la société est extérieure à ce qui se passe dans nos esprits singuliers. Ce qui n'implique pas que nos esprits n'aient rien à voir avec ce qui lui est extérieur. Une bonne illustration du statut du social est le langage qui est à la fois ce qui existe grâce aux pratiques linguistiques de l'ensemble des locuteurs et ce qui dépasse tout locuteur singulier. Dans une perspective durkheimienne, l'observateur prend acte que les faits ne lui seront jamais livrés à travers des procédés comme l'introspection : ce n'est pas dans l'intériorité de la conscience que l'on découvrira la richesse des règles phonologiques ou syntaxiques, lesquelles sont dérivables à partir de procédures méthodiques de recueil des données considérées. Il en va de même dans d'autres univers, l'économie, la religion, l'école.

Le principe épistémique de l'extériorité du social, qui fait partie des conditions de possibilité de la discipline sociologique, n'a rien à voir avec des professions de foi dogmatiques de type behaviouriste ou holiste, avec lesquelles il se voit trop souvent confondu : il laisse largement ouvertes les questions de statut du sujet, de statut du social, de la nature de la causalité sociologique. Comme le soulignait Ludwig Wittgenstein, il y a une différence profonde entre la mise en évidence de lois en vue de rendre compte de régularités déterminées et l'attribution à ces lois d'un effet caché de contrainte qui s'exercerait sur la nature en la forçant en quelque sorte à « obéir ». En tous cas, le sociologue, loin de se référer à un effet uniforme de contrainte, sait bien faire la différence dans son travail entre la simple nécessité, la coercition subie, la propension à agir de telle façon en fonction de divers attributs (revenus, diplômes...), la pression morale d'un groupe d'appartenance, l'adhésion résignée ou enthousiaste à son sort, dans la mesure où les modalités des actions considérées sont extrêmement variées. De plus, les facteurs eux-mêmes ne se réduisent pas au facteur de classe ou d'origine sociale. Contrairement à une vision pauvre de la causalité sociologique, la sociologie ne cherche pas à tout « réduire » à ce facteur, elle cherche à identifier ce qui précisément peut fonctionner comme facteur. En la matière, il n'y a pas de dogme ontologique. L'importance accordée à la division de la société en classes sociales n'empêche pas d'admettre le principe du fonctionnement spécifique de certains univers autonomes (ces « ordres » dont parlait le philosophe Pascal) au nombre desquels la religion, la philosophie, l'art... Quitte à se demander comment on doit concevoir l'articulation entre les déterminants « externes » comme la position sociale et les déterminants « internes » propres à ces univers, et à exploiter le registre de la projection, au sens géométrique de correspondance réglée entre deux ensembles : que des options spécifiques (religieuses, philosophiques, esthétiques...) puissent être rapportées à des positions ou à des trajectoires sociales déterminées est une entreprise cohérente et féconde dont la portée n'est pas purement « externe » dans la mesure où la signification attribuée à ces options se trouve par là (au moins dans une certaine mesure) modifiée et enrichie.

IV - L'objectivation sociologique
 
S'il faut renoncer à l'imagerie d'une machinerie occulte du social, qu'est-ce que la sociologie peut bien nous apprendre que nous ne sachions déjà ? En quoi peut-il s'agir d'une science qui nous instruit sur un ordre de choses qui nous avait échappé ? En quoi cette science diffère de la spéculation, de la littérature, du journalisme ?

Ce qui est « caché » peut se dire en plusieurs sens. Le premier sens découle simplement du caractère constructif de la démarche scientifique. Contre l'illusion de la transparence du social, la sociologie nous procure un ensemble de données objectives que nous ne saurions dériver de nos expériences. Recourant à divers instruments (dont la statistique), elle s'efforce de révéler, selon les cas, une complémentarité structurale, une distribution de variables, une relation fonctionnelle entre « variables », une relation quasi « mécanique » entre séries causales indépendantes, ou de rapprocher, simplement, des faits apparemment disparates mais relevant d'un même ensemble de critères et de rapports (formel/informel, quotidien/extra-quotidien, autonome/hétéronome...)... La sociologie semble alors au plus près de l'image traditionnelle d'une science révélant la structure interne d'un ordre de choses spécifique.

Pour autant, on ne saurait adhérer à un point de vue objectiviste consistant à faire l'économie de toute dimension subjective. La sociologie ne peut aborder les objets que par le rapport sous lequel ils sont connaissables, et n'a donc pas à proposer une empathie, une coïncidence avec le vécu intime d'autrui : le lui reprocher serait étrange sinon absurde. Mais le subjectif est objectivable. Objectiver, ici comme ailleurs, signifie seulement inscrire l'objet dans l'ordre du savoir. On en vient au deuxième sens du caché : la correspondance réglée, mais brouillée et non immédiatement manifeste, entre deux ordres d'intelligibilité, celui (objectif) des positions et celui (subjectif) des points de vue. Les visions différentes que des agents peuvent avoir, et à propos desquelles ils peuvent s'opposer, demandent à être fondées sur des caractéristiques objectives. Par exemple, une vision de l'éducation (soumise, rigoriste, artiste...) tend à refléter une position dans l'espace social ainsi qu'une manière d'y accéder (par des efforts, des titres, des relations...). C'est précisément cette sorte de double vue sociologique que suscite un entretien jugé réussi qui, loin de manifester une relation en quelque sorte externe, hypothétique, entre, d'un côté, des facteurs et, d'un autre côté, des actes, des opinions, des sentiments, etc., donne à apercevoir dans les mots de l'enquêté, comme en « surimpression », la position et le point de vue, permettant de comprendre comment, à partir de l'une, l'autre s'imposait de façon nécessaire. La notion d'habitus a été élaborée par Pierre Bourdieu en vue d'apporter une contribution à la question de l'efficience des structures, question non résolue selon lui par le structuralisme. L'habitus, intériorisation des structures objectives, évite le double écueil d'attribuer une vertu occulte à celles-ci et de s'en remettre à une conscience pure : comme compétence pratique des agents, il est ce qui permet d'agir de façon à la fois appropriée, spontanée et novatrice dans une multitude de situations plus ou moins inédites. L'agent ne consulte aucun code et ne se réfère à aucune convention, et loin d'être commandé par des structures extérieures, il ne fait rien d'autre que ce qui lui semble raisonnable, souhaitable, normal, honorable.

Dire que l'on peut objectiver les points de vue et les visions qu'ils rendent possibles ne consiste aucunement à ignorer la subjectivité, mais cela conduit, à la différence de ce qu'affirment certains théoriciens de la « sociologie compréhensive », à poser que le moment de la compréhension demande à être fondé en raison. La tradition que l'on peut appeler, au sens large, « phénoménologique » privilégie la vision au détriment de la construction, suspecte selon elle d'abstraction, et se donne pour tâche prioritaire d'élucider les structures fondamentales des différentes formes d'expérience sociale en prenant pour présupposé plus ou moins explicite que le sens inscrit ou produit à travers ces formes est doté d'autonomie. L'honneur, l'amour, le conflit se laissent certes décrire dans leurs aspects principaux. Mais, en voulant éviter de faire le détour par les structures objectives telles qu'elles sont mises en évidence par le travail de construction, on est conduit, sous prétexte de respecter la spécificité de l'expérience vécue, à la redoubler simplement par un discours savant qui, comme le montrait Jacques Bouveresse à propos de l'herméneutique, entretient la confusion entre plusieurs significations de la compréhension (comme capacité pratique, comme interprétation savante, comme traduction entre langages, entre cultures, etc.). En effet, pour comprendre, il faut expliquer, exploiter des savoirs non immédiatement disponibles, la « compréhension actuelle » propre à l'expérience ordinaire étant distincte, selon Weber, de la « compréhension explicative » qui suppose la médiation d'une analyse interprétative en vue d'identifier des motifs dans leur contexte : alors que la première repose sur la possession d'un même ensemble de classements, de repères permettant à tous les individus d'un groupe déterminé de communiquer, la seconde (proprement scientifique) suppose de mettre en relation le subjectif et l'objectif, les raisons manifestes (« je le fais par devoir ») et les causes cachées (« il est poussé à le faire par son statut social, son âge, son sexe, etc. »). Le sens d'une conduite n'étant pas immédiatement intelligible, un individu se comprendra d'autant mieux si ses propres expériences sont rapportées aux propriétés qui caractérisent sa trajectoire, et il verra ainsi autrement ses propres raisons, ses engagements, ses refus. Le sens commun lui-même met en œuvre dans des jugements ou des expressions, comme « faire de nécessité vertu », « avoir des goûts de riche », une démarche qui s'efforce de classer les agents ainsi que les motivations attribuables à ces agents en fonction de traits tenus pour pertinents (revenus, niveau scolaire, sexe, âge...). Un tel réalisme trouve dans la sociologie une expression plus systématique et plus exigeante. L'explication causale ne conduit pas à faire l'économie des points de vue, elle vise plutôt à montrer ce qui fait leur cohérence (ou incohérence), leurs limites, la logique de leurs transformations. C'est bien ce que suggérait Weber quand il disait de la sociologie qu'elle est la « science qui veut comprendre l'action sociale en l'interprétant et, par là, l'expliquer causalement dans son déroulement et dans ses effets ».

L'une des tâches de la sociologie est de poser la question du mode d'efficience des structures, de leur rôle dans la production de l'ordre social. L'objectivisme est un parti pris de contourner la difficulté en tenant pour résiduelle la question du point de vue des agents. La tentation inverse consiste à attribuer les régularités observées dans le monde social à des accords entre agents réalisés sur le mode tacite et qu'il s'agit seulement d'expliciter. La sociologie de la domination héritée de Weber repose sur des présupposés réalistes, l'existence de rapports de force objectivement descriptibles qui s'imposent aux agents, mais, loin de s'en tenir à ce constat, elle tente d'appréhender leur retraduction sous forme de structures symboliques qui les renforcent en les rendant méconnaissables. Elle s'intéresse non pas aux règles, aux conventions et aux normes qui dotent l'action de sens, mais à l'effet de légitimité par lequel l'« obéissance » à un ordre, l'adhésion, la conformité s'imposent comme allant de soi.

La dualité entre objectif et subjectif, entre positions et points de vue peut être intériorisée par un individu, un groupe, une institution et prend alors la forme d'une tension interne. C'est en cet autre sens que le réel peut être considéré comme initialement caché. En dévoilant l'écart entre la pratique effective et la représentation de cette pratique, entre l'officieux et l'officiel, entre l'intérêt particulier et la valeur universelle, la sociologie tend à susciter, à la façon de la psychanalyse, un conflit entre le savoir et le refus de savoir. Ainsi, la « vérité » du don réside, d'après les analyses de Marcel Mauss, dans son statut de contre-don à l'intérieur d'un cycle : le don, qui n'est jamais premier, est commandé par d'autres dons, mais cette vérité ne peut apparaître en pleine lumière sans risquer de placer ouvertement l'intérêt économique au principe de toutes les pratiques. Si le flou des équivalences, réalisé de différentes manières (un cadeau Y contre un cadeau X antérieur, et ce après un délai convenable...), constitue une aussi bonne solution, c'est parce qu'il permet de concilier les pulsions privées auxquelles les individus sont inévitablement exposés, et un modèle humain d'accomplissement fondé sur la conformité aux valeurs universelles du groupe.

L'écart entre l'expérience vécue (de la générosité) et la vérité objective (l'échange) ne doit pas être considéré seulement comme étant dans le point de vue de l'observateur mais aussi dans celui des agents qui doivent souvent s'efforcer d'assumer la « double vérité » imposée par leur position. Parvenu à ce moment ultime de l'analyse, l'observateur n'a pas à réduire directement l'universel au particulier, à « démasquer » à tout prix des faux-semblants, à choisir une vérité contre l'autre puisque la réalité réside dans leur concours mutuel au sein d'un tout complexe. C'est dire que tout en « démystifiant » les prétentions à l'universel, on peut aussi prendre au sérieux ce que les agents s'imposent par là à eux-mêmes en vue d'entretenir une croyance largement collective.

La démarche sociologique, si elle met à mal les « prénotions » des agents, ne peut se contenter de s'en tenir à une forme de savoir extérieur et souverain. Elle doit s'efforcer sans relâche de se demander si elle est parvenue à rendre compte de leur expérience, à élucider le rapport entretenu par eux à la représentation objective qui leur est proposée. Entendue de cette façon, elle a tout pour constituer une sorte de psychanalyse sociale puisqu'elle s'efforce de défaire ou de déjouer les effets de méconnaissance sans ignorer que l'intérêt à la lucidité est loin d'être une disposition universellement répandue : comment ne pas voir, dans une série d'entretiens, ce qui porte certains individus à préférer la sécurité des représentations officielles et d'autres, à l'inverse, à évoquer plus ou moins librement les failles, les contradictions, les faux-semblants avec lesquels ils doivent compter ? L'écriture sociologique doit s'efforcer de trouver, à chaque fois de façon différente, un ton juste pour inciter le lecteur à rompre avec ses tentations premières d'éloignement ou de complicité, d'admiration ou de dédain, et pour favoriser une disposition propice à la compréhension authentique.

V - Un rapport au monde social
 
L'écriture ne peut résoudre à elle seule les problèmes de transmission des savoirs. Le sociologue ne devrait pas omettre de considérer les conditions de production et de réception de la connaissance scientifique en général et de la sienne en particulier. D'abord, il est lui-même pris dans un univers professionnel qui a ses contraintes propres (carrière, financement...), ses hiérarchies d'objets, de méthodes, ses traditions intellectuelles nationales, ses modes. Explorer l'inconscient savant est un préalable à la lucidité scientifique, notamment à travers la sociologie des intellectuels et des productions savantes.
La sociologie a un statut relativement ambigu. La reconnaissance sociale de la vision proposée par la science n'est pas assurée grâce à la vertu intrinsèque de la vérité prouvée. Il faut être assez sociologue pour comprendre que la science n'est, après tout, que l'une des forces en présence dans le monde social et qu'elle est, par conséquent, socialement faible. Le seul fait d'adopter une posture désintéressée de savoir là où ce n'est pas attendu a une fonction critique qui a des chances de susciter les résistances de l'incrédulité et de l'indignation (« c'est faux »). Le paradoxe de la sociologie est à son comble lorsque ce qui est nommé au vu et au su de tous était déjà manifeste et public : intempestive, à contretemps et à contre-lieu, elle est le mot de trop, l'abus d'autorité sanctionné par des formes cyniques de rappel à l'ordre (« on sait bien tout ça »... donc « n'en parlons plus »). On peut se défier d'une science qui ne dérangerait personne ou qui conforterait les attentes dominantes. Intellectuels médiatiques, éditorialistes en vue, experts et autres sages n'ont que faire des ressources de la démonstration puisqu'ils peuvent compter sur les évidences demi-savantes qui définissent la doxa intellectuelle et politique.
Une partie des menaces sur le mode de pensée sociologique vient des efforts de domestication visant à l'enfermer dans des carcans bureaucratiques ou technocratiques : définition hétéronome de ses objets, de ses méthodes, quête de solutions techniques à des problèmes posés par l'ordre social, évaluation standard (bibliométrique) de la production, académisme, visibilité médiatique comme principale attestation d'un rôle civique. La participation des sociologues à l'espace public pourrait avoir pour prix le renoncement à la prérogative proprement scientifique de délimiter les questions pertinentes, de construire l'objet conformément à des exigences internes et de prendre également pour objet le fonctionnement effectif de cet espace et ses limites.
À ces dépendances s'ajoutent celles qui découlent de l'appartenance à l'univers intellectuel. La sociologie doit compter avec la force sociale de concurrents réticents à admettre que le monde social puisse être un objet de connaissance jusque dans ses aspects les plus subtils, secrets et sacrés. Les adversaires de l'extérieur, amis des arts et des lettres, s'insurgent au nom de la finesse, de la nuance, de la profondeur contre cette discipline usurpatrice qui introduit la science où elle n'a que faire, tandis que les adversaires de l'intérieur s'efforcent, conformément aux modèles intellectuels de rupture théorique particulièrement prisés en France, de mettre en avant un nouveau régime de connaissance sociologique situé au-delà de la rationalité bornée et « scientiste ». L'invitation à la réflexivité suggérée par Pierre Bourdieu demande de comprendre, comme s'il était étranger, l'univers auquel on appartient, et donc de se défaire, par la connaissance objective, des mythologies savantes au nombre desquelles figure la croyance, sans cesse renaissante, dans le statut d'exception du sujet de connaissance.



Texte de Louis PINTO (L'Encyclopédie)

Bibliographie
  • P. Bourdieu, Méditations pascaliennes, Seuil, Paris, 1997
  • P. Bourdieu, J.-C. Chamboredon & J.-C. Passeron, Le Métier de sociologue, Mouton, Paris-La Haye, 1968
  • J. Bouveresse, Herméneutique et linguistique, éd. de l'Éclat, Combas, 1991
  • É. Durkheim, Les Règles de la méthode sociologique, Alcan, Paris, 1895, rééd. coll. Quadrige, P.U.F., Paris, 1990
  • N. Elias, Was ist Zoziologie, Munich, 1970 (Qu'est-ce que la sociologie ?, trad. Y. Hoffmann , Éd. de l'Aube, La Tour-d'Aigues, 1991)
  • C. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, vol. I, recueil de textes publiés entre 1945 et 1956, Plon, Paris, 1958, rééd. 1996
  • M. Mauss, « Essai sur le don », in L'Armée sociologique, 1923-1924 (repris in Sociologie et anthropologie, coll. Quadrige, P.U.F., 1997)
  • A. Schütz, Collected papers, vol. 1, The Problem of Social Reality, Kluwer, Dordrecht-Boston-Londres, 1962
  • M. Weber, Wirtschaft und Gesellschaft, Mohr, Tübingen, 1922 (Économie et société, trad. par J. Chavy, É. de Dampierre dir., coll. Agora - Les classiques, Pocket, Paris, 2 vol., 1995).